Voltaire, François-Marie Arouet, dit (1694-1778)
Fils puîné de François Arouet, notaire, et de Marie Marguerite Daumart, François-Marie naît à Paris le 21 novembre 1694, et meurt dans la même ville le 30 mai 1778. Il étudie à partir de 1704 au collège des Jésuites (qui deviendra le lycée Louis-le-Grand) sous la direction du père Porée. Ses études sont brillantes, mais déjà entachées de « libertinage ».Un de ses maîtres, le père Lejay n’a-t-il pas prophétisé : « Malheureux ! Tu seras un jour l’étendard du déisme en France ! » et il le devient en effet, à son retour d’Angleterre. Pour l’heure, sa famille l’envoie en Hollande comme secrétaire du marquis de Châteauneuf ; une aura sulfureuse l’accompagne à son retour
(il aurait fait profession d’athéisme – ce qui paraît controuvé) ; accusé d’avoir rédigé un poème satirique contre Philippe d’Orléans, régent, il est relégué à Sully-sur-Loire (1716) puis emprisonné à la Bastille pendant un an de 1717 à 1718. Si la Bastille n’est pas alors le cachot qu’on imagine (cf. la description qu’en donne Marmontel qui après son Bélisaire y sera emprisonné, Mémoires, I), l’expérience le convainc que sa vocation est ailleurs. Peu de temps après sa sortie, il donne OEdipe, tragédie qui connaît le succès malgré deux vers qui paraissent hétérodoxes, mais passent alors inaperçus (« Nos prêtres ne sont pas ce qu’un vain peuple pense / Notre crédulité fait toute leur science », IV, 1).
Voltaire, c’est le nom anagrammatique qu’il adopte, est maintenant connu. Donnant, plus que de raison peut-être, libre cours à son arrogance naturelle, il se retrouve, en avril 1726, à la Bastille à la suite d’une altercation avec le chevalier de Rohan ; comprenant le risque qu’il encourt dans une société fortement clivée où l’arbitraire peut décider d’une vie, il « accepte » un exil en Angleterre, et embarque à Calais sous bonne escorte. Il séjourne à Londres jusqu’en 1729. Déjà familier de la pensée anglaise par l’intermédiaire de Bolingbroke, exilé tory, qu’il connaît depuis 1719, il n’est pas dépaysé quand il fréquente à Londres les milieux latitudinaires de la Royal Society ; mais outre Locke et Newton qu’il approfondit, il découvre la société anglaise et sa monarchie « tempérée » qui feront l’admiration des Lumières de Montesquieu à Lessing. Il tire de cette expérience les Letters concerning english nation (1733) qui deviendront les Lettres philosophiques (1734).
« Un Français qui arrive à Londres trouve les choses bien changées en Philosophie comme dans tout le reste », écrit Voltaire dans sa quatorzième Lettre où il compare Descartes à Newton. C’était sans doute exagéré et de nature à étonner Bolingbroke lui-même, mais en partie vrai, car l’Angleterre qui avait accompli sa Glorieuse évolution en 1688-1689 vivait en régime de monarchie parlementaire et, en matière de religion, coupée de Rome depuis la sécession anglicane, elle tolérait une multitude de sectes (protestantes). Par ailleurs, une certaine liberté de ton régnait en philosophie dans la tradition de Bacon et de la natural philosophy. Une telle expérience ne peut que réjouir Voltaire qui vient de vivre personnellement les effets du despotisme.
Sept des Lettres qui résultèrent de son séjour outre-Manche portent sur la question religieuse et sur le latitudinarisme de l’establishment anglican : « C’est ici le pays des sectes. Un Anglais, comme un homme libre, va au Ciel par le chemin qui lui plaît. » (Lettre V) Cette tolérance dont Bayle a montré la nécessité (Commentaire philosophique sur ces paroles de Jésus-Christ, Contrains-les d’entrer, 1686) et dont Locke (Lettre sur la tolérance, 1689) a écrit le code est une découverte pour un Français qui sort de Bossuet et de la Révocation. Si Voltaire ne va pas jusqu’à écrire que toutes les religions se valent, du moins affirme-t-il clairement qu’aucune d’entre elles n’a le monopole de la vérité. Du coup, la maxime de l’absolutisme post-tridentin, cujus regio, ejus religio (littéralement « de tel pays, de telle religion », est une maxime latine qui édicte le principe politique selon lequel le souverain d’un pays a le droit d’imposer sa religion à ses sujets), sur laquelle on discute depuis la Réforme et qui pouvait se justifier avant l’effondrement de la Romania catholique, devient inutile, voire dangereuse : « S’il n’y avait en Angleterre qu’une religion, le despotisme serait à craindre, s’il y en avait deux, elles se couperaient la gorge ; mais il y en a trente, et elles vivent en paix. » (Lettre VI). Ces Lettres sont une bombe lorsqu’elles paraissent en 1734 ; elles décident, plus qu’il ne l’a décidé, du destin de Voltaire. Le dur chemin de l’exil recommence pour lui et, sans qu’il le soupçonne, il passera maintenant le plus clair de sa vie dans les marges du Royaume : à Cirey-sur-Blaise en Champagne en compagnie de la marquise du Châtelet, puis à Genève aux Délices (1755), à Ferney (1758) enfin ; il ne retournera à Paris que quelques mois avant sa mort – Paris où il avait rêvé un destin de courtisan de 1729 à 1734.
Le nom de Voltaire reste attaché au combat incessant qu’il a mené contre les églises et principalement la catholique ; il s’inscrit dans la guerre que les Philosophes déclarent aux préjugés et à la superstition. Dans le même geste, il a voulu éradiquer le judaïsme que l’on trouve aux sources du christianisme. D’aucuns en ont fait un antisémite – ce qui est un anachronisme et s’accorde mal avec la demande que font à Voltaire Isaac Pinto et Zalkind Hourwitz pour obtenir son soutien quand il s’agit d’émanciper les Juifs. « Restez Juifs, mais soyez philosophes », écrit alors Voltaire à ses correspondants. Demeurent la bêtise et la superstition, assez universellement partagées, quelles que soient les chapelles.
On en trouvera l’abécédaire dans son Dictionnaire philosophique. L’astronome Lalande a écrit que Voltaire était athée ; on veut bien le croire ; cependant, à l’instar de Diderot, il pensait que la religion était utile pour le peuple. D’où la figure du Rémunérateur-Vengeur qu’il ressasse dans de nombreux textes. Voltaire, assez hostile au matérialisme (d’Holbach en particulier) se disait théiste, et à la manière de Kant, et il ne se lassera pas de répéter que l’Horloge du monde suppose un horloger. Mais on peut douter de sa sincérité.
Toujours est-il qu’il fera construire une chapelle à Ferney avec cette singulière inscription :
Deo erexit Voltaire (élevée à Dieu par Voltaire) et qu’il faisait régulièrement ses pâques. D’aucuns considèrent qu’il voulait donner par là le change.
Deux mois avant sa mort, le 7 avril 1778, Voltaire est reçu franc-maçon dans la loge prestigieuse Les Neuf Sœurs. Son initiation fait l’effet d’une bombe ; au-delà des commentaires nombreux qu’elle suscite (l’article « Initiation » de ses Questions sur l’encyclopédie [1771] est une attaque en règle des « pauvres francs-maçons »), elle témoigne du ralliement de la frange éclairée de la maçonnerie d’ancien régime aux combats de Voltaire, à sa lutte contre l’obscurantisme et l’injustice, pour la pensée libre. Rappelons que le chevalier La Barre fut en partie condamné et exécuté parce qu’il possédait un exemplaire du Dictionnaire philosophique… Voltaire nous a laissé le voltairianisme en héritage, à savoir cette liberté de pensée et de parole qui oppose une fin de non-recevoir à tous les dogmatismes et à toutes les injustices.
Charles Porset, Dictionnaire de la Laïcité (2°édition)
Charles Porset, Voltaire humaniste, Edimaf, 2003.
Max Gallo, Moi, j’écris pour agir : vie de Voltaire, Paris, Fayard, 2008.