Université
L’Université est une partie essentielle de l’école de la République ; cette institution accomplit des missions dont la multiplicité renvoie à la complexité de son histoire mais aussi à sa responsabilité scientifique, sociale et économique. Une république, par l’université, forge une opinion qui sera publique. Par le savoir produit, partagé et transmis les opinions se présentent comme des thèses à défendre, à soutenir, à débattre. Le Code de l’éducation dans sa troisième partie (art. 123-1 à 9) énonce les missions de l’université : « La formation initiale et continue, la recherche scientifique et technologique, la diffusion et la valorisation de ses résultats, l’orientation et l’insertion professionnelle, la diffusion de la culture et l’information scientifique et technique, la participation à la construction de l’Espace européen de l’enseignement supérieur et de la recherche, la coopération internationale ». L’article 123-4 ajoute « la formation de formateurs ». L’ambition générale visée par ces missions est d’élever le niveau scientifique, culturel et professionnel de la nation, en réduisant les inégalités. L’ampleur de ces tâches et de cette responsabilité se confirme dans le monopole de la collation des grades et de la délivrance des diplômes (non canoniques). Mais cette liste des missions ne doit pas faire oublier la finalité première de l’université : rendre possible dans le même geste la production des savoirs et leur transmission.
La Révolution de 1789 s’est méfiée de l’université du fait de son origine médiévale et cléricale, elle a multiplié les grandes écoles supérieures spécialisées. Cette méfiance s’est étendue aux Académies. Dans la suite, ce dualisme a largement contribué à la coexistence de deux systèmes d’enseignement supérieur ou encore à l’existence d’une recherche séparée de l’enseignement (Centre national de recherche scientifique, par exemple). Ce passé explique en partie pourquoi l’université n’a pas toujours les moyens d’atteindre les objectifs que, cependant, la puissance publique lui assigne. L’autonomie des universités publiques ne va pas toujours avec leur réelle indépendance, notamment pour la création des postes d’enseignants et des autres personnels ou les dotations budgétaires. Près de dix ans après la mise en œuvre de la loi du 1er août 2007 relative aux libertés et responsabilités des universités (dite LRU), il n’est pas sûr que cette contradiction soit levée. Autre question : la massification des années 1960-1970 fut-elle une réelle démocratisation puisqu’elle ne fut pas accompagnée d’une unification des systèmes de formation ?
La complexité du système universitaire, notamment dans le contexte européen, requiert une vigilance particulière des républicains car l’unité de l’idée humaniste d’université est fragilisée par la volonté des pouvoirs économiques, voire politiques, d’imposer un modèle managérial de fonctionnement et de décision. Grande est la tentation de chercher à privilégier une mission au détriment des autres ou encore d’imposer comme modèle un domaine disciplinaire au détriment des autres (par exemple, une thèse en sciences humaines ne saurait se préparer suivant le même calendrier qu’une thèse en sciences dites « dures »). De même, l’université repose sur la liberté pédagogique mais aussi de recherche fondée sur l’indépendance des enseignants.
Une théorie républicaine de l’Université
Est-ce à dire que l’université est un État dans l’État ? La réponse réside dans la théorie républicaine de l’université que la IIIe République sut forger et qui accompagna la refondation laïque de l’instruction publique. La méconnaissance de cette philosophie explique pourquoi certains républicains laïques défendent parfois les positions de leurs « adversaires » ultralibéraux, partisans d’une privatisation de l’université, notamment autour d’une professionnalisation à outrance et à court terme sacrifiant trop souvent la culture humaniste générale. La théorie républicaine de l’université est élaborée par Louis Liard dans son ouvrage L’Enseignement supérieur en France, rédigé en 1908, au moment de la consolidation du principe de séparation (loi de 1905), de la laïcisation des personnels enseignants (pour la Métropole) et de l’unification de l’instruction publique. Louis Liard écrit son ouvrage à peu près même temps que Ferdinand Buisson publie la deuxième édition de son Dictionnaire. Louis Liard demande à la République de dépasser sa prévention contre l’institution universitaire tout en reconnaissant que les grandes écoles spécialisées ne sauraient exister sans l’apport inestimable de la culture générale, humaniste et universaliste qui est au cœur de la tradition universitaire, notamment dans la tradition classique allemande. Louis Liard précise « qu’il s’agit de donner à tous les clartés scientifiques sans lesquelles la profession choisie par chacun d’eux serait obscure et empirique ». Par la culture générale l’université ouvre les professions à la cohérence de leur propre rationalité ; il s’agit de se méfier « du fait brut, sans la raison du fait ».
Cette apologie de la culture générale ne pose pas de problème dans les grandes écoles et dans leurs classes préparatoires. L’université républicaine s’avise par conséquent, si l’on se réfère à la théorie de Louis Liard, qu’il convient de préparer à une profession mais sans oublier qu’il faut se préparer, par l’amour des savoirs et l’apprentissage du débat libre, à l’exercice du métier de citoyen éclairé et à la tâche d’être un homme libre. Cette philosophie générale fonde l’élitisme républicain se développant dans les concours républicains de recrutement. Sans cette émulation intellectuelle continue portée par l’élitisme républicain la nation s’installerait vite dans une bien triste « interaction des médiocrités », pour reprendre une formule de l’anthropologue Edward Sapir. Sans cette culture générale partagée, la laïcité régresserait vers une très fade « neutralité ».
La méconnaissance de cette philosophie républicaine de l’université explique en partie la crise ouverte de l’université qui doute de ses missions et d’elle-même. De cette crise d’identité les gouvernements pourraient profiter, pour instrumentaliser l’institution, au gré des idéologies ou des intérêts dominants. Dès 1792, dans son Rapport sur l’Instruction publique, Condorcet avertissait : « Aucun pouvoir ne doit avoir l’autorité ni même le crédit d’empêcher le développement des vérités nouvelles, l’enseignement contraire à sa politique particulière ou à ses intérêts momentanés. »
Le geste théorique de Louis Liard, conciliant culture générale et formation professionnelle, est à rependre sans cesse ; il a comme condition l’indépendance intellectuelle des personnels tout autant qu’une réelle autonomie responsable des universités. C’est pour défendre cette liberté, au service de la science, de la culture et de la vérité, qu’un groupe a proposé une Déclaration en seize articles, dite Initiative XCIII, en date du 13 mars 2009 ; citons-en les articles VI et VII, qui reprennent à la fois la tradition universitaire, l’approche originale de Louis Liard et l’attachement républicain à l’idéal laïque :
« La libre circulation des pensées et des savoirs repose sur un droit inconditionné d’accéder à tous les moyens et sources de la connaissance. Nulle censure ne saurait restreindre les sources mobilisées pour sa mise en œuvre. »
« Quiconque s’engage et contribue à la recherche, l’enseignement ou l’étude doit pouvoir expérimenter une pensée critique sans faire l’objet d’aucune censure, répression ou inquisition. »
Charles Coutel, Dictionnaire de la Laïcité (2°édition)