Spinoza, Baruch (1632-1677)
Philosophe hollandais (1632-1677), dont l’influence reste considérable aujourd’hui. Descendant d’une famille juive marrane (convertie en apparence au catholicisme pour échapper à l’Inquisition en Espagne), les textes qu’il écrit sur l’exégèse biblique et la liberté de philosopher lui valent d’être exclu de la communauté juive pour cause d’hérésie (1656) et combattu par les catholiques et les protestants. Dans son Traité théologico-politique (1665), Spinoza pose les bases de l’organisation laïque d’un État et de son corollaire : la liberté de jugement et d’expression de chaque individu.
Séparer l’État et la religion
Spinoza montre comment la religion peut être instrumentalisée par le pouvoir politique. Selon lui, le monarque « colore du nom de religion la crainte qui doit pouvoir maîtriser (les hommes) afin qu’ils combattent pour leur servitude, comme s’il s’agissait de leur salut, et croient non pas honteux, mais honorable au plus haut point de répandre leur sang et leur vie pour satisfaire la vanité d’un seul homme ». Alors qu’à l’inverse, les clergés peuvent œuvrer pour leur propre compte, manifester « une ambition et une avidité sordides » et faire en sorte que toute décision politique soit soumise à leur appréciation. Spinoza juge : « pernicieux tant pour la religion que pour l’État, d’accorder aux ministres du culte le droit de décréter quoi que ce soit ou de traiter des affaires de l’État ». Clairement, ce n’est pas la religion en elle-même que Spinoza critique, mais son intrusion et celle des ecclésiastiques dans la politique. Il préconise de séparer les Églises et l’État afin de rendre le pouvoir politique autonome et obliger les religions à se conformer au droit public. La laïcité de l’État est ainsi établie. Spinoza refuse également qu’une Église puisse constituer « un État dans l’État » et l’invocation d’une loi religieuse ne saurait, pour lui, servir de prétexte pour contester la loi que les hommes se sont librement donnée.
Démocratie et libertés de pensée et d’expression
Spinoza préconise la souveraineté du peuple comme essence de l’État. « Le véritable fondement de l’État », écrit-il, est la nécessité pour « l’individu (de transférer) à la société toute la puissance qui lui appartient de façon à ce qu’elle soit seule à avoir… une souveraineté de commandement ». Il s’agit bien là des bases d’une démocratie où règnent la liberté et l’égalité des individus. Spinoza affirme simultanément que le politique détient une « souveraine autorité pour interpréter les lois », y compris religieuses, et que chacun dispose d’une « souveraine autorité pour juger la religion et conséquemment se l’expliquer à lui-même ». Il revendique le droit d’interpréter librement les textes religieux, en s’affranchissant des préjugés, sans se soumettre aux pressions des pouvoirs, qu’ils soient religieux ou politiques.
Ferdinand Buisson dans Éducation et République, reconnaissant en Spinoza un théoricien précurseur de la laïcité dans la démocratie, invite à se référer à ses écrits. Et le philosophe Pierre Hayat de conclure à son propos : « Ces trois libertés – intérieure, critique, politique – que nous avons rencontrées dans le Traité théologico-politique, ne se comprennent pas l’une sans l’autre. Elles mènent aux “fondamentaux” de la laïcité et suffisent, pensons-nous, à prouver que Spinoza ne se serait pas satisfait d’une laïcité d’État. »
M.C.
Pierre Hayat, Cahiers rationalistes, no 577, 2005.