Radicalisme
Fils de la Révolution française, les radicaux placent très tôt la laïcité au cœur de leur pensée.
L’idéal clisthénien d’isonomie marque les révolutionnaires français. Le système grec fondé sur le Laos, peuple indivis composé de citoyens égaux et dépositaires du pouvoir, délibérant rationnellement des affaires communes pour élaborer une loi qui s’impose à tous, trouve un prolongement dans les articles 1er et 3 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune » ; « Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément. » Aussi les deux piliers « de la foi républicaine », pour reprendre l’expression de Ferdinand Buisson (1841-1932), sont-ils la souveraineté de l’individu et la souveraineté de la nation, qui représentent aussi les deux piliers de la laïcité dont les radicaux font un article cardinal de leur programme.
Si la laïcité est conçue comme le pouvoir du peuple, par le peuple et pour le peuple, elle suppose l’éradication de tout cléricalisme. L’anticléricalisme radical n’a théoriquement rien d’antireligieux : « Ne dites donc pas que nous sommes les ennemis de la religion, puisque nous la voulons assurée, libre et inviolable. » (Gambetta, 27 septembre 1872). Et l’anticléricalisme déborde la seule dimension religieuse à laquelle on le réduit trop, puisqu’il est la lutte contre tout accaparement d’une part ou de la totalité de la souveraineté par un groupe, religieux ou non – en ce sens, la laïcité lutte contre toute forme d’oligarchie –, ou par un individu – la laïcité refuse toute forme de césarisme. L’État républicain ne reconnaît de droits qu’aux individus – pour le philosophe radical Alain, « l’individualisme est le fond du radicalisme » –, leur rassemblement constituant la seule communauté politique légitime, la communauté nationale.
Le premier acte des républicains, sous l’impulsion des radicaux, est de séparer l’école publique de la religion. Selon le père de l’école républicaine, Condorcet – « le grand homme des radicaux », rappelle Claude Nicolet –, puisque le suffrage universel détient le pouvoir, il doit être éclairé, et la mission de la République est de forger des citoyens aptes à réformer sans cesse la République. L’instituteur doit instituer des citoyens critiques et non former des croyants. Pour que tous puissent participer un jour aux affaires publiques, l’instruction est obligatoire ; pour que les pauvres y aient droit comme les riches, l’école est gratuite et pour qu’elle respecte toutes les croyances et formes d’incroyances, elle est laïque. Jules Ferry donne une telle impulsion à l’école républicaine, au début des années 1880, que les radicaux s’approprieront bien souvent, a posteriori, cette grande figure de la IIIe République, dont le livre de chevet n’est autre que L’éducation du peuple du radical quarante-huitard Edgar Quinet (1803-1875).
La politique du radical Émile Combes, président du Conseil de 1902 à 1905, vise, quant à elle, à briser la puissance des congrégations religieuses, sorte d’État dans l’État, puissance contrevenant au principe révolutionnaire de souveraineté nationale. Cette politique conduit à la rupture des relations entre la République et le Saint-Siège et prépare le terrain pour la réalisation de l’une des plus anciennes revendications radicales depuis le programme de Belleville de 1869 : la séparation des Églises et de l’État. Bien sûr, les radicaux ne sont pas unanimes et certains s’opposent à la loi, tel le concordataire… Émile Combes présenté à tort, encore aujourd’hui, comme le père de la Séparation. Reste que, dans cette lutte, les radicaux se retrouvent, dans leur ensemble, aux avant-postes de la phalange républicaine.
La loi du 9 décembre 1905 repose sur deux grands principes toujours en vigueur (sauf en Alsace et en Moselle, alors allemandes) : la République assure la liberté de conscience – qui va donc bien plus loin qu’un simple régime de tolérance religieuse – et elle ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. Si, au moment de son adoption, les plus républicains des radicaux trouvent la loi trop conciliante avec l’Église catholique – en particulier Clemenceau ou Buisson, président, à la Chambre, de la commission chargée d’élaborer le texte –, ils n’en votent pas moins le projet. Selon le même Buisson, la séparation « substitue à un partage d’autorité entre deux pouvoirs rivaux, la distinction entre deux fonctions qui n’ont pas lieu de se heurter […] » Ainsi le pouvoir n’est-il désormais plus qu’« exclusivement civil, puisqu’il n’est que la nation se gouvernant elle-même et elle seule ». Autrement dit : « légalement et officiellement, la nation n’a ni Dieu ni maître ».
À la veille de la Grande Guerre, l’essentiel des idées radicales en matière de laïcité a trouvé sa traduction dans les faits, traduction certes imparfaite dont les congrès exigeront chaque année l’amélioration sans délai, mais sans guère de succès, l’influence des radicaux s’essoufflant et la vigueur du programme fléchissant peu à peu dès les années 1920 et 1930.
Samuël Tomei, Dictionnaire de la Laïcité (2°édition)
Serge Berstein, Histoire du Parti Radical (Tome I et II), Paris, PFNSP, 1980.
Claude Nicolet, Le radicalisme, Paris, PUF, coll. « Que sais-je », 1983.