Rabaut Saint-Etienne, Jean-Paul (1743-1793)
Rabaut Saint-Etienne, Jean-Paul (1743-1793)
Né à Nîmes le 14 novembre 1743, Jean-Paul Rabaut meurt le 5 décembre 1793 à Paris. Il est fils d’un pasteur protestant, Paul Rabaut. Il fait des études au collège de Lausanne et rentre en France après avoir adopté le pseudonyme de Saint-Etienne. Consacré pasteur en 1764, il s’engage dans des prédications remarquées et indispose les synodes par la radicalité de ses idées. En 1779, il publie en Hollande un roman historique militant, où il dénonce la persécution des protestants en France, Le Vieux Cévenol. C’est en 1785 qu’il a l’occasion d’intervenir auprès des autorités royales. Son action, soutenue par Malesherbes, débouche sur un édit de tolérance en 1787. Les réformés jouissent désormais de leur état civil, mais, aux yeux de Rabaut, ce n’est pas suffisant, car ils restent dans une situation de dominés par rapport à la religion catholique.
Le 27 mars 1789, Rabaut est élu député du tiers état. Il va pouvoir défendre la liberté de conscience et l’égalité de droits des citoyens, dont il réclame l’application aux réformés. Il juge la tolérance humiliante, puisqu’elle fait dépendre la liberté du bon vouloir du roi en donnant à la puissance dominante, catholique, le pouvoir discrétionnaire d’autoriser ou non le culte protestant. Aux côtés de Sieyès et de Mirabeau, il va jouer un rôle très important dans la Constituante, dont il est élu président le 14 mars 1790, au grand dam des catholiques.
Les protestants simplement « tolérés » par les catholiques, les athées tout juste « tolérés » par les uns et les autres ne jouissent pas de la plénitude de l’égalité, et on donne à entendre que leur option n’est pas la bonne, mais qu’on peut bien la « supporter », un peu comme on supporte une souffrance (sens du verbe latin tolerare). La liberté de conscience est-elle de même portée pour le dominé que pour le dominant lorsque le choix auquel elle aboutit est ainsi stigmatisé par rapport à l’option officielle ? La réponse ne fait pas de doute, et ce quelle que soit la nature de la doctrine de référence.
Le propos du pasteur Jean-Paul Rabaut, dit Rabaut Saint-Etienne, constitue la critique décisive des présupposés qu’enveloppe une problématique juridique de la tolérance. C’est à l’occasion de la discussion préparatoire à la rédaction définitive de la Déclaration des droits de l’homme qu’il intervient, le 22 août 1789, à l’Assemblée constituante, notamment dans le cadre de l’élaboration des futurs articles 10 et 11. Il se réfère aux limites de l’édit de tolérance de 1787, qui maintenait les « non-catholiques » dans une situation subalterne, et surtout faisait apparaître leur liberté comme une sorte de permission accordée, donc dérivée d’un bon vouloir, et à ce titre toujours seconde, précaire et sujette à remise en cause.
On retrouve ici une idée chère à Rousseau, à Diderot et aux philosophes du droit naturel : la liberté est première, consubstantielle à l’humanité, et ne saurait relever de l’arbitraire du prince. En ce sens, tolérance et intolérance sont d’un autre âge. On remarquera que cette critique du droit qui érige la tolérance en discrimination juridique prend toute sa portée et son actualité chaque fois qu’une conviction spirituelle se trouve privée des avantages dont jouit la religion officielle. Elle ne rejette pas la tolérance comme disposition éthique à admettre qu’une autre personne puisse avoir une autre conviction que la mienne, car une telle disposition est facteur de paix dans la société civile. Mais elle s’insurge contre l’inégalité implicitement instaurée lorsque l’on fait dépendre de l’autorité publique un pouvoir d’accorder ou de refuser une liberté qui ne doit reposer que sur la reconnaissance inconditionnelle des droits fondamentaux de tout être humain.
Voici un extrait représentatif de la pensée de Rabaut, exprimée dans un discours dans lequel il ne mâche pas ses mots. A l’horizon s’esquisse la laïcité comme égale liberté, conjuguant liberté de conscience de l’homme en tant qu’homme, et stricte égalité des droits, quelle que soit la conviction adoptée.
« Messieurs, ce n’est pas même la tolérance que je réclame ; c’est la liberté. La tolérance ! le support ! le pardon ! la clémence ! idées souverainement injustes envers les dissidents, tant qu’il sera vrai que la différence de religion, que la différence d’opinion n’est pas un crime. La tolérance ! Je demande qu’il soit proscrit à son tour, et il le sera, ce mot injuste qui ne nous présente que comme des citoyens dignes de pitié, comme des coupables auxquels on pardonne, ceux que le hasard souvent et l’éducation ont amenés à penser d’une autre manière que nous. […]
Je demande donc, Messieurs, pour les protestants français, pour tous les non-catholiques du royaume, ce que vous demandez pour vous : la liberté, l’égalité de droits. Je le demande pour ce peuple arraché de l’Asie, toujours errant, toujours proscrit, toujours persécuté depuis près de dix-huit siècles, qui prendrait nos mœurs et nos usages, si, par nos lois, il était incorporé avec nous, et auquel nous ne devons point reprocher sa morale, parce qu’elle est le fruit de notre barbarie et de l’humiliation à laquelle nous l’avons injustement condamné. […]
Je demande pour tous les non-catholiques ce que vous demandez pour vous : l’égalité des droits, la liberté ; la liberté de leur religion, la liberté de leur culte, la liberté de le célébrer dans des maisons consacrées à cet objet, la certitude de n’être pas plus troublés dans leur religion que vous ne l’êtes dans la vôtre, et l’assurance parfaite d’être protégés comme vous, autant que vous, et de la même manière que vous, par la commune loi. »
Jean-Paul Rabaut Saint-Etienne,
discours à l’Assemblée nationale, 23 août 1789.