Macé, Jean (1815-1894)
Macé, Jean (1815-1894)
L’école laïque s’occupe de la formation initiale de l’homme, du citoyen, du travailleur. Mais, au-delà, l’exigence de liberté et de lucidité doit conduire à une formation permanente. Pour l’idéal laïque, c’est en effet la vie avec la pensée qui est essentielle. La liberté de jugement en est le ressort interne, et son acquisition doit échapper à l’inégalité des conditions sociales comme à l’emprise des tutelles idéologiques, qu’elles soient religieuses ou d’une autre nature. D’où la notion clef d’éducation populaire qui prolonge le temps scolaire en temps de culture continuée tout au long de la vie. Faire de la culture le bien de tous, et promouvoir l’accès aux différentes formes du patrimoine scientifique, technique, artistique, et philosophique de l’Humanité est dès lors décisif.
Sur les deux plans de l’école et de l’éducation populaire, Jean Macé a fait œuvre exemplaire. Fils d’ouvriers, il se lance dans une carrière d’enseignant et décide d’écrire pour les jeunes élèves des ouvrages de vulgarisation scientifique. La science ainsi enseignée n’en est pas pour autant moins rigoureuse. Il s’agit de la rendre accessible à tous, selon l’idée que chacun est capable de se l’approprier. Ainsi, entre autres, il publie en 1861 Histoire d’une bouchée de pain, Lettres à une petite fille sur nos organes et nos fonctions. Ces ouvrages connaissent d’emblée le succès qu’ils méritent. L’idée d’éducation populaire est lancée. En 1864 Jean Macé fonde le Magasin d’éducation et de récréation. Et dans la foulée, en 1866, il crée la Ligue de l’enseignement avec pour finalité de promouvoir une école gratuite, laïque et obligatoire. Comme Condorcet, il veut soustraire l’accès à la culture aux inégalités sociales. D’où l’idée que le devoir de l’Etat est d’organiser un grand service public d’instruction, gratuite et laïque. Dès lors que c’est l’instruction qui est obligatoire, cela n’implique pas un monopole d’Etat sur l’enseignement, mais assurément, pour Condorcet comme pour Jean Macé, l’affectation exclusive de l’argent public à l’école publique. Quant à la liberté d’enseignement, elle doit être respectée, mais les écoles privées dites improprement « libres » ne peuvent être financées par la puissance publique. Elles relèvent en effet de particularismes religieux ou d’une démarche lucrative, voire de la combinaison des deux. Etant donc privées à ce double titre, elles doivent être financées uniquement par les personnes qui refusent l’école publique et laïque pour leurs enfants.
Très lié à Louis-Nathaniel Rossel, futur responsable de la Commune de Paris, Jean Macé juge comme lui essentiel le partage du savoir et de la culture par la classe ouvrière.
Quant à la Ligue de l’enseignement, Jean Macé la veut rigoureusement animée par le principe de laïcité non seulement dans le combat pour l’école laïque, seule école ouverte à tous gratuitement et sans prosélytisme religieux, mais aussi dans son fonctionnement interne et la promotion de ses valeurs, indépendamment de tout mercantilisme. Dans un manifeste, il s’exprime ainsi : « Je fais appel à tous ceux qui conçoivent la Ligue future comme un terrain neutre, politiquement et religieusement parlant, et qui placent assez haut la question de l’enseignement populaire, dans le sens strict du mot, pour accepter de la servir toute seule sur ce terrain-là, abstraction faite du reste. Ce ne serait pas la peine d’essayer, si l’on voulait autre chose. On ne vivrait pas, en supposant qu’on pût parvenir à naître. »
Quant aux adversaires de cette école laïque universaliste, qui crient à l’école athée, afin de faire naître un préjugé par amalgame hélas trop durable, il leur répond avec verve : « Non, l’école ne sera pas athée, parce que la lecture et l’écriture n’ont jamais été de l’athéisme et ne le seront jamais ; parce que la grammaire n’est pas athée ; parce que, quand on vient demander à un homme de vous enseigner l’arithmétique et qu’il vous l’enseigne sans parler de religion, il est aussi déraisonnable de crier à l’athéisme sur son école qu’il le serait, en sortant de chez un cordonnier qui vous a pris la mesure d’une paire de bottes sans aborder avec vous la question religieuse, d’ameuter les passants devant sa boutique en criant : Voilà une boutique qui est athée ! »
Une dernière citation, qui résume l’idéal laïque et humaniste de Jean Macé : « Notre chemin à tous, gens de la Ligue, est forcément le même : faire penser ceux qui ne pensent pas ; faire agir ceux qui n’agissent pas ; faire des hommes et des citoyens. »