Le Concordat de 1801 en France
En même temps qu’elle réorganisait le territoire sur le plan civil et religieux, la Révolution avait nationalisé les biens de l’Église. La Constitution civile du clergé (décret du 12 juillet 1790) condamnée par Pie VI en 1791 (comme la Déclaration des droits de l’homme) avait mis en place une Église constitutionnelle, avec un épiscopat auto-constitué (l’abbé Grégoire), élu par le corps électoral du département, un clergé (les curés sont élus par les habitants du district) astreint au serment de fidélité dû par tout fonctionnaire. Elle entraîna la rupture de fait avec Rome pour les « prêtres jureurs » qui acceptent de prêter serment. Il en résulte une situation de conflit entre le pouvoir révolutionnaire et les « prêtres réfractaires » fidèles à Rome, qui s’exilent, se retrouvent en prison ou dans la clandestinité. Les États pontificaux sont envahis, le pape emprisonné.
Rappelons des avancées indiscutables sur le plan des rapports Église/État : on doit à cette constitution la liberté religieuse proclamée par l’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789, la laïcisation de l’état civil inscrite dans la Constitution de 1791. Le Premier consul, pour consolider son régime et rétablir l’ordre, dès l’élection du pape Pie VII à Venise en mars 1800, manifeste le désir d’un rapprochement avec l’Église catholique encore très influente. Les négociations sont engagées en juin 1801, sur des bases différentes des concordats d’Ancien Régime (notamment celui signé à Bologne en 1516 entre François 1er et le pape).
Le Concordat sera signé en juillet 1801 et promulgué le 8 avril 1802. Napoléon écarte comme utopique une séparation radicale entre l’Église et l’État et abandonne le projet d’une Église constitutionnelle. Cet acte concordataire est une nouveauté pour l’Église, car l’acceptation par Rome du gouvernement du Consulat entraîne la reconnaissance des principes mis en place par la Révolution de 1789 concernant la légitimité de l’autorité de la nation et l’acceptation de rompre avec la tradition monarchique.
Le Concordat reste un compromis, court (17 articles), parfois vague. Pas question pour la République française de reconnaître que la religion catholique est la religion officielle et donc véritable. Dans son préambule, le texte se contente d’un constat statistique, le catholicisme est la religion de la grande majorité des citoyens français. « La religion catholique, apostolique et romaine sera librement exercée en France » (art. 1). Il défend les prérogatives de l’État contre les prétentions cléricales ; il fait du culte un service public et assure son financement sur fonds publics, mais contrôle le clergé (240 000 personnes). « Il sera fait par le Saint-Siège de concert avec le gouvernement une nouvelle circonscription des diocèses français » (leur nombre de 60 – France et Belgique annexée – est réduit de moitié par rapport à l’Ancien Régime). La subordination de l’Église à l’État se manifeste en particulier dans les articles 6 et 7, précisant qu’évêques et prêtres doivent prêter serment de fidélité au gouvernement.
C’est un texte diplomatique, et non philosophique, qui réorganise l’Église de France : les évêques sont nommés par le pouvoir civil et investis dans leur charge par le pape ; le clergé est rémunéré par l’État. Le 15 août 1801, le pape promulgue deux décisions : le bref Tam multa exige la démission des évêques institués par Rome, le bref Post multos labores demande celle des évêques élus. La papauté est réintroduite comme source de l’institution canonique, ce qui met fin aux principes de l’Église gallicane. Les édifices du culte nationalisés restent propriété publique, mais affectés en exclusivité à l’exercice de la religion catholique. En échange de l’abandon des biens ecclésiastiques vendus depuis 1790, le « gouvernement assurera un traitement convenable aux évêques et aux curés » (art. 14).
Le vrai but du Concordat est le rétablissement du culte paroissial et la reprise en main du clergé diocésain ; il ne s’intéresse pas aux congrégations, ni aux œuvres, ni à l’enseignement, ni aux missions, alors que le clergé régulier se développe, notamment les congrégations féminines.
Sur une suggestion de son ministre des Affaires étrangères, Talleyrand, le Premier consul commande au juriste Jean Portalis de rédiger des « Articles organiques » ; ces 77 articles destinés à préciser les termes du Concordat débouchent sur une limitation du pouvoir du Saint-Siège sur le clergé national, dans la plus pure tradition gallicane. Ils imposent l’enseignement dans les séminaires des « Quatre articles » de la déclaration gallicane adoptée par le clergé français en 1682, sous le règne de Louis XIV : les papes ne peuvent déposer les souverains ni délier leurs sujets de leur serment de fidélité ; les décisions des conciles œcuméniques priment sur les décisions pontificales ; le pape doit respecter les pratiques des Églises nationales ; il ne dispose d’aucune infaillibilité. De plus, toutes les décisions des synodes et des conciles devront être approuvées par le gouvernement pour être appliquées en France. La liberté de mouvement des évêques est limitée.
Le Concordat ne revient pas sur la dissociation de l’État et du catholicisme. Il renforce sa neutralité religieuse en reconnaissant d’autres cultes, mais sans négociation vu l’absence d’autorité internationale pour les confessions luthérienne et calviniste (1802). À ces trois cultes « reconnus » sera ajouté le judaïsme. Les Juifs participent de façon assez positive, à la création des consistoires avec une centaine de délégués nommés par les préfets ; en 1807 un grand sanhédrin tire des conclusions pour la loi juive, et en 1808 deux décrets organisent les consistoires, locaux et national, sur le modèle du protestantisme.
Dans le même esprit le 5 décembre 1804, un autre concordat, toujours en effet, fut conclu secrètement entre l’État et le Grand Orient de France qui écrivit immédiatement une circulaire d’application. Il ne s’agit pas d’un retour au passé puisque l’Église ne retrouve pas sa position antérieure, et doit accepter l’égalité avec le protestantisme et le judaïsme, cultes « reconnus ». On reste donc dans une tradition française de rivalité entre l’Église et l’État pour déterminer à qui revient la primauté. Les révolutionnaires, fidèles à la tradition gallicane de la monarchie, n’ont pu éviter d’intervenir dans le domaine religieux. Toutefois, les règles des relations entre l’État et les religions sont ainsi fixées pour un siècle. L’État reconnaît l’existence des religions, leur dimension collective et leur caractère social, garantit leur libre exercice et prend leur entretien à sa charge. C’est une reconnaissance juridique, appuyée sur un constat de réalité : neutralité de l’État, liberté individuelle de conscience, pluralité des religions reconnues, traitement des cultes à égalité. Par anticipation d’aucuns parlent pour ce régime nouveau de « laïcité » (« La religion est “dans l’État” alors que l’État n’est plus dans la religion »), ce qui renvoie à la définition de l’État « laïque » : l’est-il quand il reconnaît les cultes sans discrimination, ou faut-il établir une séparation entre les différentes confessions et la sphère publique ? L’idée de laïcité-séparation exprime la laïcité « à la française ».
On en est encore loin. Ce régime de liberté de conscience et d’égalité formelle des cultes reconnus n’empêchera pas une position privilégiée du catholicisme contre laquelle progressivement se développera le mouvement de laïcisation. La religion perd progressivement sa position dominante dans la société, en particulier dans les services publics. Le Concordat est muet sur la question de l’école, qui va pourtant contribuer à accélérer le mouvement de laïcisation, le Code civil de 1804 en est indépendant. L’interprétation de ces principes varie donc au cours du siècle.
Pragmatisme et souci de conciliation ont marqué plusieurs périodes. Ainsi les circonstances expliquent le maintien du régime concordataire en Alsace-Moselle. Quand on met fin en 1905 au Concordat, ces trois départements de l’est n’appartiennent pas à la France, et se trouvent régis par la législation française en vigueur en 1871. Bien que la question de l’unification du régime des cultes apparaisse comme une évidence, les différents gouvernements depuis 1918 n’ont pas réussi à l’imposer.
Annette Bon. Dictionnaire de la Laïcité (2°édition)
Alsace et Moselle.