La commission Stasi
La commission travaille dans la transparence : ses auditions, retransmises en direct par la chaîne de télévision Public Sénat sont consultables sur Internet. Elles représentent près de soixante-dix heures de retransmission. Certaines ont cependant lieu à huis clos, à la demande de jeunes filles musulmanes craignant des représailles.
Dans ses conclusions relatives aux signes religieux à l’école, elle souligne qu’il y a indiscutablement des forces qui testent la résistance de la République dans la remise en cause la laïcité. Au début des travaux, la majorité des membres, dont le président, est convaincue qu’il ne faut pas légiférer, mais cette opinion s’inverse au fur et à mesure que les auditions se succèdent. La nécessité d’une loi est votée à l’unanimité moins une abstention.
Pourquoi une loi est-elle indispensable ?
La loi du 15 mars 2004 encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics est adoptée à une très large majorité à l’Assemblée nationale et au Sénat. Le texte se veut à la fois équilibré et vigilant sur la laïcité, refusant de stigmatiser une ou des religions. Il dispose que : « Dans les écoles, les collèges et les lycées publics, le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit. » (art. 1)
La formulation choisie souligne que des signes discrets restent acceptés. La loi rappelle également la nécessité du dialogue avec l’élève et recommande une évaluation, un an après son entrée en vigueur. Elle exclut de son champ les établissements scolaires privés, le principe de leur caractère propre étant reconnu par le Conseil constitutionnel.
Les travaux de la commission et les débats parlementaires exposent les raisons pour lesquelles une loi est apparue indispensable.
1. Pour rappeler le rôle essentiel de la laïcité comme facteur de cohésion sociale et d’intégration. Comme le souligne Bernard Stasi : « Il y a en France une communauté nationale fondée sur un certain nombre de valeurs que l’on apprend à l’école et il est préférable qu’il n’y ait pas de tension, de malaise avec l’affirmation ostentatoire de l’appartenance à telle ou telle religion parce que c’est là que l’on apprend à être ensemble. » On ne peut à la fois revendiquer la neutralité de l’État et faire preuve d’un prosélytisme agressif au sein de l’école. « L’esprit de la laïcité requiert cet équilibre des droits et des devoirs. »
2. L’école est le lieu où se forme le jugement des enfants :
« Les élèves doivent pouvoir, dans un climat de sérénité s’instruire et se construire, afin d’accéder à l’autonomie de jugement… » souligne Bernard Stasi.
3. Il fallait réaffirmer le principe d’égalité et lutter contre les discriminations. Les débats ont en effet posé la question du droit des femmes, en s’appuyant sur les témoignages de nombreuses jeunes filles témoignant de pressions pour les contraindre à porter le voile. Ces mêmes pressions et obligations ne touchant pas les garçons, aucune imposition qui s’exercerait sur une catégorie de population n’est acceptable.
4. L’État se doit de protéger ses citoyens et en particulier les plus faibles d’entre eux, en l’occurrence, les jeunes filles qui réclamaient l’aide d’une loi pour pouvoir résister aux pressions de leur famille.
5. De nombreux troubles à l’ordre public apparaissaient dans l’école, parfois au nom d’une religion. Ils sont cités dans les rapports Chérifi et Obin : stigmatisation agressive de ceux qui ne respecteraient pas assez les prescriptions religieuses en matière de nourriture notamment, refus par une jeune fille de serrer la main d’un proviseur, jugeant ce « contact impur », refus de la mixité, refus d’activités corporelles et artistiques.
Bernard Stasi concluait après adoption de la loi : « Je me félicite qu’il y ait eu parmi les responsables de l’enseignement, non seulement une approbation, mais aussi souvent une impatience que cette loi soit votée… la grande majorité des musulmans de France, tous les sondages l’ont démontré, était favorable à cette loi et l’attendait avec impatience et ce n’est pas une loi contre l’Islam, quoi qu’on en dise dans certains pays musulmans… Alors si j’ai regretté qu’on n’ait retenu que cette loi, c’est parce qu’il y avait dans le rapport des propositions qui permettaient d’aller encore plus loin dans cette laïcité apaisée, tolérante qui doit être la laïcité à la française. »
Qu’a apporté finalement la loi de 2004 ?
Conformément à la loi, le ministère de l’Éducation nationale a demandé à Mme Hanifa Chérifi d’évaluer les conséquences de son application à la rentrée scolaire de 2004. Des élèves, moins nombreux que prévu, se sont présentés avec des signes religieux ostensibles. Ceux qui persistent à les garder sont invités au dialogue avec le chef d’établissement qui détermine alors, conformément à la circulaire, « en concertation avec les équipes éducatives », les conditions dans lesquelles doit se dérouler le dialogue et les conditions de scolarisation de l’élève.
Le rapport d’évaluation conclut : « Le nombre total de signes religieux recensés au cours l’année 2004-2005 est de 639, soit 2 grandes croix, 11 turbans sikhs, et les autres signes, tous des voiles islamiques. À l’issue de l’année scolaire, 496 ont retiré le signe incriminé, 71 suivent une scolarité par correspondance au CNED, 72 ont trouvé une autre solution. »
Martine Cerf
« Laïcité et République », rapport au Président de la République, Paris, Documentation française, 2003.
Rapport Chérifi et rapport Obin : ftp://trf.education.gouv.fr, www.legifrance.fr
Bernard Stasi, La laïcité, valeur universelle : la faire vivre dans l’Espace européen !, actes du Colloque Egale, Palais du Luxembourg, octobre 2004, sur www.egale.eu
Stasi, Bernard.
Sikhs
Originaire de l’Inde, de la région de Panjab, la religion sikh professe l’existence d’un seul Dieu et rejette le système des castes. Le port du turban et de la barbe, qui, comme les cheveux, ne peut être coupée, du bracelet de fer et d’un poignard à la ceinture, sont des prescriptions religieuses suivies par les orthodoxes.
La religion sikh est empreinte d’un idéal d’égalité, de tolérance et de service, comme le montre leur devise : « kirt kamao, vand chako, nam japo » (accomplis ton travail, partages-en le fruit et médite sur le Nom).
En France, des sikhs orthodoxes se sont opposés à la loi sur les signes religieux à l’école, en arguant que leurs prescriptions religieuses devaient être respectées. Depuis la rentrée scolaire 2004, ils restent peu nombreux en France à vouloir conserver leur turban malgré l’interdiction des signes religieux ostensibles.
M.C.
Signes religieux à l’école.