Intolérance ( Jean-Jacques Rousseau, 1756)
« Mais je suis indigné, comme vous, que la foi de chacun ne soit pas dans la plus parfaite liberté, et que l’homme ose contrôler l’intérieur des consciences où il ne saurait pénétrer, comme s’il dépendait de nous de croire ou de ne pas croire dans des matières où la démonstration n’a point lieu, et qu’on pût jamais asservir la raison à l’autorité. Les rois de ce monde ont-ils donc quelque inspection dans l’autre, sont-ils en droit de tourmenter leurs sujets ici-bas pour les forcer d’aller en paradis ? Non, tout gouvernement humain se borne, par sa nature, aux devoirs civils, et quoi qu’en ait pu dire le sophiste Hobbes, quand un homme sert bien l’Etat, il ne doit compte à personne de la manière dont il sert Dieu.
[…] Il y a, je l’avoue, une sorte de profession de foi que les lois peuvent imposer ; mais hors les principes de la morale et du droit naturel, elle doit être purement négative, parce qu’il peut exister des religions qui attaquent les fondements de la société et qu’il faut commencer par exterminer ces religions pour assurer la paix de l’Etat. De ces dogmes à proscrire l’intolérance est sans difficulté le plus odieux, mais il faut le prendre à sa source, car les fanatiques les plus sanguinaires changent de langage selon la fortune et ne prêchent que patience et douceur quand ils ne sont pas les plus forts. Ainsi j’appelle intolérant par principe tout homme qui s’imagine qu’on ne peut être homme de bien sans croire tout ce qu’il croit, et damne impitoyablement ceux qui ne pensent pas comme lui. »
Jean-Jacques Rousseau, lettre à Voltaire du 18 août 1756,
Œuvres, Paris, Gallimard,