Inculcation
Dans le cléricalisme traditionnel, l’inculcation religieuse s’accomplit en grande partie par la mise en place d’une symbolique tournée vers l’imagination. Le médium privilégié du sens n’est pas le texte argumenté, qui s’adresse à la raison et peut être discuté voire contesté, mais l’image symbolique. Il s’agit d’inculquer par une impression sensible qui marque la conscience des simples fidèles et laisse une trace forte dans la mémoire tout en y induisant des affects de crainte et de soumission. Dans cet esprit, le dispositif théologico-politique construit l’imaginaire collectif dont il a besoin. Ainsi l’inculcation symbolique tourne-t-elle à plein. Elle opère simultanément la sacralisation du pouvoir temporel et la matérialisation temporelle du pouvoir religieux.
L’instrumentalisation du pouvoir temporel par le prosélytisme d’une confession religieuse a pour corollaire la sacralisation de ce pouvoir ainsi placé hors de portée de toute contestation. Conformisme idéologique et prosélytisme religieux vont de pair. La figure théologico-politique du pouvoir qui se met ainsi en place reprend à son compte la stratégie médiatique de ce prosélytisme. Relevant d’une logique de domination, et du partage entre clercs et laïques, l’ordre symbolique traditionnel se caractérise donc par une certaine façon de produire la croyance, ou de l’entretenir. L’appareil symbolique du roi en majesté, élu de Dieu ou même médiation charnelle de sa volonté, dissuade le fidèle-sujet de toute velléité de révolte en faisant de l’insoumission temporelle un péché spirituel. « Le pouvoir du roi est le pouvoir de Dieu. Ce pouvoir, en effet, est à Dieu par nature et au roi par la grâce (natura et gratia). Donc le roi aussi est Dieu et Christ, mais par la grâce, et quoi qu’il fasse, il le fait non seulement en tant qu’homme, mais comme quelqu’un qui est devenu Christ et Dieu par la grâce. »
Un tel ordre symbolique déploie dans la configuration théologico-politique le type d’inculcation mis en œuvre par les institutions religieuses, dès lors qu’elles entendent régir l’ensemble de la vie sociale. Le témoignage spirituel originel et les dogmes qui lui sont liés sont alors refondus en fonction des exigences de l’inculcation symbolique.
Lisons Spinoza :
« On voit, par suite, pourquoi les prophètes ont presque toujours perçu et enseigné toutes choses sous forme de paraboles et d’énigmes et pourquoi ils ont donné des choses spirituelles une expression corporelle : tout cela s’accorde mieux avec la nature de l’imagination. »
Baruch Spinoza,
Traité théologico-politique, traduction de Charles Appuhn, Paris, Garnier-Flammarion, 1965, chapitre I, page 45.