Hypatie (370-415)
Hypatie (370-415)
Pour des moines fanatiques, encouragés par un évêque intolérant, Hypatie la païenne a trop de qualités. Outre sa beauté légendaire, elle sait beaucoup et partage beaucoup, elle est philosophe et savante, généreuse et vertueuse, soucieuse de comprendre et de faire comprendre. Tolérante et douce, elle est habitée par le goût du savoir, et son enseignement est aussi bien accueilli par de jeunes chrétiens, comme Synésios, que par les païens. Un enseignement qui donne à penser, qui fait penser et cultive la liberté qui en résulte. Hypatie s’adresse à tous et ne reconnaît pas d’autre autorité intellectuelle que celle de la raison. Enfin, elle est respectueuse de l’autorité civile. Tout cela la rend populaire, au-delà même de ses élèves qui lui vouent admiration et respect.
La philosophie d’Hypatie relève d’une sagesse cosmique. Elle cultive la maîtrise de soi comme un art de vivre. A l’instar des stoïciens, elle comprend la pluralité des dieux comme expressive de celle des éléments et des forces naturelles qui configurent le cadre de vie des hommes. Vivre en harmonie avec la nature, c’est s’efforcer d’en comprendre les lois et la façon dont elles produisent leurs effets, afin de faire advenir en soi un accord avec elle. L’être humain est partie prenante de la dynamique naturelle, et c’est en phase avec elle qu’il peut le mieux s’accomplir. Il s’agit de savoir ce qui dépend de soi et ce qui dépasse notre singularité individuelle. On se situe ainsi lucidement dans la nature, afin d’y agir au mieux.
L’observation des étoiles étend notre conscience cosmopolitique aux confins d’un monde immense, voire infini. Peut-être est-ce la Terre qui tourne, et les mouvements des astres semblent plus faciles à expliquer si par hypothèse on les fait tourner autour du Soleil, et selon des ellipses plutôt que des cercles. Mathématiques et astronomie s’articulent dans un savoir nouveau dont Hypatie esquisse la cohérence. Un savoir du cosmos où le regard humain trouve un principe d’ordre pour délivrer le quotidien des enlisements passionnels et des crispations mesquines.
Logée en sa demeure cosmique, l’humanité est une et ne peut se déchirer pour des opinions religieuses. La tolérance entre égaux va de soi et elle dédramatise les différences. La science de l’univers et la sagesse pratique vont de pair, selon une authentique sagesse philosophique. Telles durent être les leçons d’Hypatie, à fleur de pensée, dans le partage que permet la parole vive.
Le patriarche Cyrille ne supporte pas que quelqu’un échappe à sa police des croyances et des pensées. La religion chrétienne doit devenir référence exclusive, et le préfet d’Alexandrie Oreste lui-même, détenteur du pouvoir civil, doit se plier à ses exigences théocratiques. Après des heurts avec les juifs, qu’il tente de soumettre, des conflits apparaissent avec les païens. Pour lui, la référence chrétienne doit être la seule. Il a des troupes de choc, des brutes qui se disent soldats du Christ et entendent tout contrôler, tout régenter, par la violence si nécessaire, quand la prière ne semble plus suffire.
Un jour, en ce lieu de culture qu’est Alexandrie, célèbre pour ses bibliothèques où repose une grande part de l’héritage humaniste antique, la sanglante tragédie se produit. Une horde de chrétiens déchaînés commet l’irréparable. Socrate le Scolastique raconte :
« Il y avait dans Alexandrie une femme nommée Hypatie, fille du philosophe Théon, qui avait fait un si grand progrès dans les sciences qu’elle surpassait tous les philosophes de son temps et enseignait dans l’école de Platon et de Plotin un nombre presque infini de personnes, qui accouraient en foule pour l’écouter. La réputation que sa capacité lui avait acquise lui donnait la liberté de paraître souvent devant les juges, ce qu’elle faisait toujours, sans perdre la pudeur ni la modestie qui lui attiraient le respect de tout le monde. Sa vertu, tout élevée qu’elle était, ne se trouva pas au-dessus de l’envie. Mais parce qu’elle avait amitié particulière avec Oreste, elle fut accusée d’empêcher qu’il ne se réconciliât avec Cyrille. Quelques personnes transportées d’un zèle trop ardent, qui avaient pour chef un lecteur nommé Pierre, l’attendirent un jour dans les rues et, l’ayant tirée de sa chaise, la menèrent à l’église nommée Césaréon, la dépouillèrent et la tuèrent à coups de pots cassés. Après cela ils hachèrent son corps en pièces et les brûlèrent dans un lieu appelé Cinaron. Une exécution aussi inhumaine que celle-là couvrit d’infamie non seulement Cyrille, mais toute l’Eglise d’Alexandrie, étant certain qu’il n’y a rien si éloigné de l’esprit du christianisme que le meurtre et les combats. Cela arriva au mois de mars durant le carême, en la quatrième année du pontificat de Cyrille, sous le dixième consulat d’Honorius et le sixième de Théodose. »
Socrate le Scolastique, Histoire ecclésiastique, livre VII, chapitre 15.
Dictionnaire amoureux de la Laïcité