Fondamentalisme
A l’origine, le « fondamentalisme » désigne la tendance conservatrice née pendant la Première Guerre mondiale dans certains milieux protestants américains attachés à une interprétation littérale des dogmes. Il s’agissait de revenir aux seuls « fondements » ou « fondamentaux », en amont des interprétations qui auraient perverti le message originel de la religion. Cette démarche a souvent coïncidé avec le refus des interprétations qui s’efforçaient de transposer les enseignements du texte biblique plutôt que de les prendre à la lettre. Fréquemment, elle va de pair avec un certain fidéisme littéraliste, voire avec l’obscurantisme, comme on le voit dans la dénonciation par certains extrémistes protestants américains des théories darwiniennes de l’évolution et de leur enseignement universitaire, jugés incompatibles avec la littéralité du récit biblique de la Création.
Le mouvement des chrétiens born again (nés à nouveau) n’est pas sans relation avec ce fondamentalisme, forme de réaction contre les modernisations plus ou moins opportunistes du discours religieux. L’Eglise catholique n’a pas non plus été épargnée par ce genre de tendances, qui ont notamment nourri le refus des adaptations lancées par le concile de Vatican II (1962) et plus récemment les commandos anti-avortement ou les manifestants fanatiques contre le mariage pour tous.
Gilles Kepel fournit un éclairage important dans La Revanche de Dieu (Paris, Le Seuil, « Points Actuels », 1991). Il y brosse un tableau des « chrétiens, juifs et musulmans à la reconquête du monde » (sous-titre de l’ouvrage). Le livre décrit les progrès spectaculaires des mouvements religieux qui ont lancé deux types d’offensive pour s’imposer. L’une, l’« offensive par le haut », s’efforce de conquérir le pouvoir politique et la maîtrise des grandes institutions publiques. L’autre, l’« offensive par le bas », investit graduellement la société civile, notamment par un entrisme habile dans le monde social et associatif. Il en va ainsi, notamment, du rôle du fondamentalisme dans l’évangélisme américain, chez les charismatiques catholiques, dans le judaïsme orthodoxe (loubavitch) aussi bien en Israël que dans la diaspora juive, et enfin dans l’islam piétiste (tabligh), très présent en de nombreux pays marqués par la religion musulmane. Comme l’Afghanistan au temps des talibans. Cette « islamisation par le haut » a été arrêtée en divers endroits, notamment en Algérie, lors de l’interruption du processus électoral qui risquait de conduire à l’instauration d’un Etat islamique dur.
C’est alors que les intégristes et les fondamentalistes de l’islam politique ont misé sur l’« islamisation par le bas », à la faveur des déshérences et des frustrations subies par des populations victimes de la souffrance sociale, liée à la mondialisation néolibérale, et de la corruption de leurs dirigeants, mais aussi des injustices d’un « ordre mondial » régi par les diktats d’une superpuissance attachée surtout à promouvoir ses seuls intérêts. Les réseaux sociaux islamistes mis en place regroupent des centaines de milliers de personnes dans le monde.
A la lumière de telles évolutions, il est de plus en plus clair que la laïcité va de pair avec l’exigence de justice sociale et de droit international authentique. Faute de quoi la guerre des dieux risque de fournir son scénario catastrophe à l’affrontement des hommes que contient virtuellement toute situation d’oppression et d’exploitation.
Henri Pena-Ruiz, Dictionnaire amoureux de la Laïcité