Conseil d’État
À la fois organe administratif et juridiction, composé d’environ 300 fonctionnaires nommés en Conseil des ministres, le Conseil d’État exerce deux rôles historiques : conseiller du gouvernement pour la préparation des projets de loi, décrets et juge administratif suprême qui tranche les litiges relatifs aux actes des administrations. Il a également pour mission de gérer l’ensemble de la juridiction administrative. En cette qualité, il est amené, comme le Conseil constitutionnel à édicter les normes du fonctionnement de l’État et de ses représentants.
En matière de laïcité, le juge administratif assure le respect de la liberté d’opinion et sa conciliation avec le principe de laïcité. Ainsi, il a été amené à préciser les conditions du respect du principe de neutralité du service public au regard du principe de laïcité. Il a défini les critères de reconnaissance des associations cultuelles qui ont pour objet exclusif, en vertu de la loi du 9 décembre 1905, de subvenir aux frais, à l’entretien et à l’exercice public d’un culte.
Des décisions concernant le respect du principe de laïcité à l’école ont été prises, tant au cours des années 1990 qu’à la suite de la promulgation de la loi du 15 mars 2004 encadrant le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics. Par deux décisions du 5 décembre 2007 (no 285394 et no 295671), le Conseil d’État a notamment précisé les conditions dans lesquelles le port d’un signe religieux doit être regardé comme manifestant ostensiblement une appartenance religieuse, en méconnaissance de la loi du 15 mars 2004 : ainsi, les élèves des écoles, collèges et lycées publics peuvent porter des signes religieux discrets, mais restent interdits : un voile ou foulard islamique, une kippa ou une grande croix, qui manifestent ostensiblement par eux-mêmes une appartenance religieuse ; sont également interdits, « les signes dont le port ne manifeste ostensiblement une appartenance religieuse qu’en raison du comportement de l’élève ».
Le 9 juillet 2010, le Conseil d’État a rejeté les recours déposés contre l’accord avec le Vatican visant à reconnaître les diplômes délivrés par celui-ci, tout en encadrant son application ; il a confirmé le monopole de la délivrance des diplômes nationaux par l’université publique (voir l’analyse dans l’article Diplômes et grades universitaires).
Dans une série d’avis émis le 19 juillet 2011 (no 308817 et no 309161), le Conseil d’État justifie l’octroi de subventions publiques à des associations à caractère religieux, au nom d’un « intérêt public local » (dont les contours sont laissés à sa seule appréciation). Il déclare licite le financement public d’un ascenseur dans une basilique, propriété privée, et l’aménagement d’un abattoir rituel. Ces décisions sont sources de confusion, d’autant que le Conseil d’État, après avoir admis qu’une communauté de communes peut financer un abattoir rituel, décide ensuite « qu’une communauté urbaine, qui est un établissement public de coopération intercommunale, ne peut exercer que les compétences que lui attribue la loi […] qu’ainsi, le conseil communautaire […] ne dispose d’aucune compétence générale pour […] prendre toute décision justifiée par l’existence d’un “intérêt public communautaire” » (CE no 336463 du 4 mai 2012).
Consulté par le Défenseur des droits, le Conseil d’État s’est également prononcé de façon assez obscure à propos de l’imposition de la neutralité aux personnes accompagnant les sorties scolaires, en application de la circulaire Chatel diffusée le 27 mars 2012 : « Les exigences liées au fonctionnement du service public de l’éducation peuvent conduire l’autorité compétente, s’agissant des parents qui participent à des déplacements ou des activités scolaires, à recommander de s’abstenir de manifester leur appartenance ou leurs croyances religieuses. » Selon Roseline Letteron, professeur de droit public à l’Université de Paris-Sorbonne, sur le site contrepoints.org : « L’idée est donc que la neutralité ne s’applique pas aux sorties scolaires, mais qu’il convient peut-être de la mettre en œuvre tout de même. » Le ministère de l’Éducation nationale a donc pris la décision de s’en remettre aux chefs d’établissement et aux enseignants concernés et de leur confier le soin de respecter la circulaire Chatel ou non.
Ces situations reflètent les incertitudes du droit en vigueur, qui conduit à élargir les situations admettant l’octroi de subventions publiques aux associations à caractère religieux, en utilisant de nouveaux concepts mal définis, comme l’intérêt général local ou l’intérêt public communautaire. Elles ont justifié la demande, puis la proposition de loi débattue à l’Assemblée nationale en 2016, sur la nécessité d’inscrire dans la Constitution française le titre I de la loi de 1905 établissant la définition de la séparation des Églises et de l’État et le non-financement des cultes.
Martine Cerf
Conseil d’État, Un siècle de laïcité, Rapport public 2004.