Condorcet, Marquis de
Jean-Antoine Nicolas de Caritat, marquis de Condorcet est né en 1743 dans une famille noble, mais pauvre de Picardie (Ribemont). Élève des jésuites qu’il critiquera avec force, il s’intéresse très tôt aux mathématiques, à la chimie, à la physique et, en 1769, entre à l’Académie des Sciences de Paris. Il fréquente les philosophes et participe à la rédaction du Supplément de l’Encyclopédie. Nommé en 1774 inspecteur général des Monnaies dans l’Aisne par son ami Turgot, contrôleur général des finances, il soutient son action. En 1782, il est élu à l’Académie française. Dans les années qui vont suivre, il s’intéresse de plus en plus à la politique. En septembre 1789, le quartier de Saint-Germain-des-Prés à Paris l’élit à la nouvelle assemblée de la Commune. Élu à l’Assemblée législative en 1791, à la Convention en 1792, il participe à plusieurs journaux et Sociétés. Girondin devenu suspect, il se cache quelques mois avant d’être arrêté. On le retrouve mort dans sa cellule en mars 1794.
Outre des ouvrages de mathématiques et des textes politiques, on peut retenir les titres suivants : De l’influence de la révolution d’Amérique sur l’Europe (1786) ; Sur l’admission des femmes au droit de cité (1790) ; Cinq Mémoires sur l’instruction publique (1791-1792) ; Esquisse d’un tableau historique des progrès de l’esprit humain (posthume, 1795).
Condorcet, dans Cinq Mémoires… pense que « l’inégalité d’instruction est une des principales sources de la tyrannie » et donc que « l’instruction publique est un devoir de la société à l’égard du citoyen ». Il défend l’idée d’une instruction publique basée sur la raison, qui effacerait les inégalités, formerait des citoyens éclairés, des amis de l’humanité croyant à son perfectionnement et défenseurs des droits de l’homme. Condorcet se souvient trop bien de l’enseignement des pères jésuites et il souhaite une école dégagée de tous dogmes religieux, une école laïque en somme. « C’est surtout entre les fonctions ecclésiastiques et celles de l’instruction qu’il est nécessaire d’établir une incompatibilité absolue dans les pays où la puissance publique reconnaît ou soudoie un établissement religieux. » Il rejette l’idée que les prêtres puissent être enseignants, car alors « l’instruction tomberait bientôt tout entière entre des mains sacerdotales. C’en serait fait de la liberté comme de la raison ».
L’école qu’il souhaite imposerait la mixité. Les femmes sont les égales des hommes et la différence de sexe ne peut faire oublier une humanité commune ; l’instruction, pour les deux, doit être la même : « Il faut aussi bien se garder de séparer les hommes des femmes, de préparer à celle-ci une instruction plus bornée, et d’abuser du nom de la nature pour consacrer les préjugés de l’ignorance et la tyrannie de la force. » De la même façon, il défendra le droit de vote pour les femmes.
Relevant du même principe d’égalité, l’école serait obligatoire pour tous (principe repris et imposé par la IIIe République) : « Le devoir de la société, relativement à l’obligation d’étendre dans le fait […] l’égalité des droits, consiste donc à procurer à chaque homme l’instruction nécessaire pour exercer les fonctions communes d’homme, de père de famille et de citoyen, pour en sentir, pour en connaître tous les devoirs. »
L’instruction est porteuse de bien-être pour l’individu – dont elle améliore la condition –, de plaisir personnel donné par l’étude elle-même. Elle est également nécessaire au citoyen qui apprend à défendre ses droits et exercer ses devoirs. L’accès au savoir est utile à l’individu, mais aussi à la communauté républicaine ; ils se vivifient l’un l’autre. Cette obligation doit naturellement s’étendre à tout le territoire.
Pour que cette égalité entre les citoyens soit effective, il faut l’appuyer sur la gratuité scolaire. C’est une idée qu’il va développer dans le Rapport sur l’instruction publique, publié en 1792. Il avait pensé dans les Mémoires pallier les inégalités en imaginant des aides publiques pour « les enfants des familles pauvres ». Il préconise dans le Rapport l’instruction gratuite. « C’est un moyen, non seulement d’assurer à la patrie plus de citoyens en état de servir, aux sciences plus d’hommes capables de contribuer à leurs progrès, mais encore de diminuer cette inégalité qui naît de la différence des fortunes, de mêler entre elles les classes que cette différence tend à séparer. » On retrouve ces idées chères à Condorcet qu’il faut aller vers l’égalité et que la communauté des citoyens est un corps où ce qui profite à chaque partie profite à l’ensemble. « Il ne peut y avoir, disait-il, ni vraie liberté ni justice dans une société si l’égalité n’est pas réelle. »
Condorcet, sans doute athée, est un rationaliste confiant dans la perfectibilité de l’homme, et dans le progrès, portés par l’instruction générale.
J.P. Dictionnaire de la Laïcité (2°édition)
Robert Badinter et Élisabeth Badinter, Condorcet, un intellectuel en politique, Fayard, 1990.