Comte, Auguste (1798-1857)
Né à Montpellier en 1798, mort à Paris en 1857. Mathématicien, philosophe, fondateur du positivisme. Esprit encyclopédique, auteur d’une œuvre considérable (Plan des travaux scientifiques nécessaires pour réorganiser la société, 1822 et 1824 publié en 1883) ; Considérations sur le pouvoir spirituel, 1826 ; Cours de philosophie positive, 1830-1842 ; Discours sur l’esprit positif, 1844 ; Système de politique positive ou Traité de sociologie instituant la Religion de l’humanité, 1851-1854 ; Catéchisme positiviste, 1852 – entre autres ouvrages), il fut un des esprits les plus féconds de son temps ; son influence fut – et demeure énorme – puisqu’il influença des esprits aussi puissants que John Stuart-Mill, Hyppolite Taine, Émile Littré, Jules Ferry, Ferdinand Brunetière, Charles Maurras, Alain, Lucien Lévy-Bruhl et que sa Religion de l’Humanité demeure aujourd’hui encore la doctrine officielle du Brésil qui a adopté sa devise : Ordre et Progrès.
Secrétaire de Saint-Simon, dont il se détache assez rapidement, mais à qui il emprunte beaucoup, il se lie avec Lamennais avec qui il partage l’idée d’une séparation du pouvoir temporel et du pouvoir spirituel – mais il s’en écarte quand celui-ci passe à la Révolution. La doctrine de Comte est surtout développée dans son Cours de philosophie positive et dans son Système de politique positive. Elle se résume commodément dans la loi des trois états. Selon Comte, la civilisation se développe en trois étapes successives.
D’abord, l’âge théologique, premier âge où l’humanité dépourvue d’expérience et n’ayant pu cultiver sa raison se livre à des croyances superstitieuses. Pour expliquer les phénomènes, elle suppose des causes surnaturelles. Cet âge conduit du fétichisme au monothéisme, qui en est l’expression la plus réussie.
L’âge métaphysique succède à l’âge théologique ; c’est le moment de l’abstraction qui correspond au développement de la raison. L’esprit humain se détache alors de ses anciennes croyances et substitue aux divinités des entités métaphysiques – essences, causes, qualités, substances – qui expliquent rationnellement tous les phénomènes de la nature.
L’âge positif le remplace quand l’homme se défait de vaines hypothèses pour se livrer à l’observation et à l’expérience. Il ne s’intéresse plus aux causes, aux essences, mais s’attache à observer les faits dans leur succession, pour établir leurs lois. Il rebute l’absolu et ne prétend qu’à la connaissance du relatif.
Cependant, à la période critique de l’âge positif doit se substituer le moment organique, celui qui doit clore les révolutions passées. La sociologie comtienne s’en veut l’expression. Elle distingue la statique sociale (individu, famille, société) de la dynamique sociale qui s’inscrit dans la loi des trois états. On notera que ces trois âges de l’humanité ne s’effacent pas dans leur successivité, mais s’imbriquent le plus souvent ; ainsi, le moment théologique qui voit le triomphe de la religion chrétienne, demeure à l’âge positif et féconde la religion de l’humanité dont Comte se veut l’instituteur. Mais, maintenant, l’Homme a remplacé Dieu. « Les morts gouvernent les vivants », écrit Auguste Comte ; en d’autres termes, c’est l’humanité, passée et présente, qui avec son énergie propre devient le nouveau Dieu. Une Trinité nouvelle s’impose ; elle comprend le Grand Être (l’Humanité), le Grand Fétiche (la Terre) et le Grand Milieu (l’Espace). Y répondent trois sciences fondamentales : la logique (ou la mathématique qui a pour objet l’espace et sa mesure), la physique (qui s’occupe des choses terrestres), la morale (qui porte sur les actions humaines). La morale se dégage de la sociologie et règne sur les autres sciences ; elle consiste dans la prédominance des aspirations altruistes sur les intérêts égoïstes. Les devises du positivisme sont, on l’a dit, Ordre et Progrès, mais aussi Vivre pour autrui, Vivre au grand jour. Ce qui se résume en une formule : « L’amour pour principe, l’ordre pour base, le progrès pour but ».
Auguste Comte met un terme à l’utopie sociale des Reynaud, Leroux, Enfantin, Fourier, qui inventent de nouvelles Atlantides ou nous font vivre dans les étoiles ; religion et morale positivistes se développent dans l’ici-bas. Elles se construisent sur le culte de la mère, de l’épouse, de la fille – qui personnifient l’Humanité ; divers sacrements, démarqués du christianisme, dont le troisième est célébré dans un panthéon voué aux grands hommes. Leur Grand Prêtre réside à Paris et n’est autre qu’Auguste Comte lui-même. Tout est prévu dans cette religion nouvelle, y compris le salaire de ses vicaires. La France devient une fédération de dix-sept républiques où le pouvoir temporel est exercé par trois banquiers. Les nations européennes s’y associeront, la race blanche, puis la jaune et la noire suivront. Elles s’harmoniseront, chacune apportant sa spécificité : la connaissance, pour la blanche, l’action, pour la jaune et le sentiment pour la noire.
Le comput sera alors modifié. Auguste Comte a composé un calendrier positiviste de 13 mois de 4 semaines avec un ou deux jours complémentaires. Chaque mois porte le nom d’un des grands génies de l’humanité : Moïse, Aristote, César, etc. ; chaque jour celui d’une célébrité de second ordre. Le sixième mois est consacré au catholicisme, sous les auspices de Saint Paul. Point de Christ, significativement.
Tout cela pourrait prêter à rire – et l’on ne s’en privera pas. D’aucuns crieront à la folie du nouveau thaumaturge – aliénation au demeurant avérée. Il demeure cependant que cette Religion de l’humanité se présentait comme une alternative séculière au catholicisme dominant ; elle l’assimilait en reconnaissant sa fonction civilisatrice, et se présentait comme un syncrétisme laïque, où, séparés, spirituel et temporel se complétaient : le politique réglait l’action, le spirituel, l’éducation. La morale commandait le politique : les droits n’étant que la conséquence des devoirs – le fond étant que la morale ne reposait que sur l’altruisme qui est la règle de l’amour et du partage. Finalement, Auguste Comte revenait au Kant de La religion dans les limites de la simple raison pour qui la sortie de la religion reconduisait au religieux.
C’est là le fond du comtisme qui se présente comme la véritable encyclopédie du monde industriel – celui du dix-neuvième siècle – où politique et religieux se réconcilient dans une même et touchante unanimité, lieu qui n’est autre que celui de la vie (le lebenswelt des phénoménologues), le monde de l’expérience et du relatif. Le banquier est associé au prolétaire. L’important étant de positiver…
Charles Porset. Dictionnaire de la Laïcité (2°édition)