Combes, Émile
Émile Combes est né le 6 septembre 1835 dans le Tarn, près de Castres. Son père est artisan. Il fait ses études d’abord au petit séminaire de Castres, puis à l’école des Carmes à Paris et semble se destiner à la prêtrise. Reçu licencié ès lettres, il enseigne dans un collège catholique de Nîmes et en 1860 présente sa thèse française, complétée par une thèse latine (La psychologie de Saint Thomas d’Aquin, et La querelle de saint Bernard et d’Abélard).
Il abandonne son projet ecclésiastique, se marie, en même temps qu’il publie un ouvrage où il rend hommage au système éducatif des Pères (De la littérature des Pères et de son rôle dans l’éducation de la jeunesse). À trente ans, il entreprend des études médicales, et en 1864 s’installe comme médecin à Pons (en ex-Charente-Inférieure).
S’intéressant à la politique, il devient maire de Pons en1874, conseiller général de Charente-Inférieure en 1879, sénateur en 1885. Il est l’un des leaders du radicalisme avant d’être, en 1894, président du groupe de la gauche démocratique. Au moment de l’Affaire Dreyfus, il est un ardent partisan de la révision du procès et il entreprend une campagne dans la presse et au Parlement pour « la défense républicaine et laïque ».
Entré dans le cabinet de Léon Bourgeois, premier gouvernement radical (1er novembre 1895-23 avril 1896), il devient ministre de l’Instruction publique, des Beaux-Arts et des Cultes, et à ce titre, veille à l’application du Concordat. En mai 1902, succédant à Waldeck-Rousseau à la présidence du Conseil, il bénéficie de l’appui de la gauche : 368 voix contre 220 : 48 socialistes, 90 radicaux-socialistes, 129 radicaux et 99 républicains divers. Ce groupe constitue la Délégation des gauches et va soutenir Combes dans sa volonté de conforter le régime républicain. Lui, s’efforce d’arracher l’éducation à l’emprise de l’Église. Cependant sa position n’est pas celle qu’on a caricaturée d’un antireligieux abrupt et borné, c’est un républicain, franc-maçon, tolérant, et qui a évolué avec le temps.
En janvier 1903 il est encore un partisan du Concordat et fait voter le budget des cultes en disant à l’Assemblée : « Quand vous aurez supprimé, par un vote, le budget des cultes, vous aurez jeté le pays dans un grand embarras, embarras qui tournera non seulement contre vous les consciences troublées, mais encore contre la République que vous aurez mise dans le plus grand péril. » Autrement dit , bien que d’un point de vue philosophique et théorique, il se déclare partisan de la séparation des Églises et de l’État, le moment ne lui semble pas encore venu d’un point de vue social et politique, et, en 1907, il écrit dans ses Mémoires : « Je suis parvenu à cette conclusion que la loi de séparation était inévitable, qu’elle était nécessaire et qu’elle pouvait être bienfaisante si elle se réalisait et s’appliquait dans le respect mutuel des religions, des cultes, des droits des fidèles et des droits de l’État et de la société civile. »
En attendant que les choses mûrissent, Combes va veiller à l’application scrupuleuse du Titre III de la loi de 1901 qui concerne les congrégations. Il est vrai qu’elles se sont multipliées et qu’elles mènent campagne contre la République. Le gouvernement veut ôter à l’Église catholique le pouvoir d’influence qu’elle tient des congrégations. La loi de 1901 soumettant à une demande d’autorisation la création d’un établissement religieux, par décret du 27 juin 1902, Combes fait fermer 127 écoles congréganistes, créées sans demande préalable après promulgation de la loi. Un mois plus tard, par circulaire, sont soumis à fermeture 3000 établissements d’enseignement ouverts avant le 1er juillet 1901 par des congrégations non autorisées. Malgré le trouble à la Chambre et les manifestations, Combes confirme par décrets ces fermetures. « La pitié et la charité » dit-il, « sont le masque pour suggérer au fanatisme et à l’intolérance l’opposition à la modernité, aux institutions de la République et à ses lois. Supprimer les congrégations, c’est faire œuvre de salut public. » Et du fait de l’obligation d’une autorisation préalable, la Chambre va contrôler l’existence des congrégations sur le territoire en n’acceptant que les demandes strictement conformes à la loi. Celles concernant la prédication, le commerce ou l’enseignement sont systématiquement rejetées. Une loi, déposée par le gouvernement, est votée le 7 juillet 1904, après un long débat, pour interdire le droit d’enseigner à tout membre d’une congrégation, mais elle ne sera jamais appliquée.
Cette politique a multiplié les incidents et exacerbé les passions cléricales et anticléricales. La République sort renforcée et l’Église affaiblie tandis que le Concordat devient de plus en plus difficile à appliquer.
D’autre part, au pape Léon XIII, va succéder Pie X, plus offensif. Un incident va mettre le feu aux poudres : le président de la République Loubet rend visite au roi d’Italie Victor-Emmanuel III. Le pape, qui récuse ce roi, fait pression sur la France pour qu’elle annule le voyage, qui a lieu quand même. Le pape adresse une lettre de protestation, révélée dans son entier par Jaurès et l’Humanité, dans laquelle il laisse entendre qu’en cas de retournement politique il prendra position contre la République. Combes rappelle l’ambassadeur au Vatican, expliquant à la Chambre le 27 mai : ce geste « indique que nous n’avons pas voulu tolérer l’ingérence de la cour pontificale dans nos rapports internationaux ». Mais le Vatican n’en reste pas là et convoque deux évêques réputés républicains. C’est une violation du droit concordataire et le 4 septembre à Auxerre, Combes déclare : « Le pouvoir religieux a déchiré le Concordat… Il n’entre pas dans mes intentions de le rapiécer. La seule voie restée libre aux deux pouvoirs en conflit, c’est la voie ouverte aux époux mal assortis : le divorce et, de préférence, le divorce par consentement mutuel. »
Combes se sent soutenu par les forces de gauche acquises à l’idée de séparation et par le peuple, à la suite des comportements invasifs du pape et il promet qu’un texte de loi en ce sens sera déposé à la rentrée.
Survient l’affaire des fiches : le 28 octobre 1904, un député nationaliste révèle que le ministère de la guerre a établi un service de renseignement sur les officiers hostiles à la République en utilisant des fiches fournies par les loges du Grand Orient de France. Le ministre de la guerre, le général André, est amené à démissionner. La majorité est divisée et Combes donne sa lettre de démission, le 18 janvier 1905.
Le projet de loi de séparation et le débat vont se poursuivre avec son successeur, jusqu’au 3 juillet 1905, et la loi de séparation est promulguée le 9 décembre. Les principaux défenseurs et artisans sont Ferdinand Buisson (radical), Aristide Briand (socialiste), Jean Jaurès (socialiste). Louis Méjan a inspiré sa rédaction.
Émile Combes n’a plus de rôle marquant, mais il reste cependant sénateur et maire de Pons jusqu’à sa mort le 24 mai 1921.
J.P. Dictionnaire de la Laïcité (2°édition)
Gabriel Merle, Émile Combes, Fayard, 1995.