Castellion, Sébastien (1515-1563)
Castellion, Sébastien (1515-1563)
Sébastien Castellion naît en 1515, au moment où Luther fait connaître ses thèses sur la vertu des indulgences, vive critique de la corruption de l’Eglise catholique. Le protestantisme, d’abord en conflit avec la hiérarchie catholique, promeut alors la liberté de conscience contre le dogmatisme de l’Eglise et sa tendance répressive à l’égard de toute contestation de ses dogmes. Castellion adhère à la Réforme sur cette base, et toute sa vie il va rester fidèle à un tel idéal, qu’il radicalise. Après des études à Lyon, où il découvre l’humanisme de la Renaissance, il se rend à Strasbourg en 1540 et y fait la connaissance de Calvin. Il le rejoint à Genève en 1542 et y prend ses fonctions de directeur de collège.
Très vite, il éprouve un malaise croissant devant l’autoritarisme de Calvin, qui construit une nouvelle orthodoxie et condamne tous ceux qui s’en écartent. Castellion, qui avait cru voir dans la réforme protestante une authentique philosophie de la liberté, se rend compte qu’il n’en est rien dès lors qu’une réforme désireuse de s’institutionnaliser se met à fonctionner comme l’Eglise catholique, notamment en faisant la chasse aux hérétiques. Il rédige en 1543 une sorte de manuel d’éducation morale intitulé Dialogues sacrés. Son rejet de toute persécution s’y manifeste avec force. Il débouche sur une dénonciation de la tyrannie exercée sur les consciences et sur les corps, entraînant des sévices indignes à ses yeux d’une religion d’amour. Son anticonformisme le conduit à mettre en cause les autorités politiques et religieuses qui font fi de la tolérance et de la liberté. Il écrit : « Il n’y a rien qui résiste plus obstinément à la vérité que les grands de ce monde. » Il est donc en rupture avec l’allégeance de Luther et de Calvin aux pouvoirs établis.
Calvin, à Genève, fait régner une discipline de fer qui conjugue un moralisme tatillon et la stigmatisation violente de toute déviance. Ralliés bientôt à la doctrine qui plus tard sera resserrée dans la formule « Tel roi, telle religion » (Cujus regio, ejus religio), Luther et Calvin sombrent dans le conformisme politique, assorti d’une soif de partage de territoires avec l’Eglise catholique. Il n’est dès lors plus question de respecter la liberté de l’individu, puisque la soumission obligée au prince qui domine une contrée exclut toute dissidence. Jugeant insupportables l’intolérance de Calvin et sa pratique arbitraire du pouvoir, Castellion démissionne du collège. Aussitôt il reçoit l’ordre de quitter Genève. Il va connaître une certaine misère jusqu’au moment où l’université de Bâle l’accueille comme maître ès arts puis lecteur de grec.
Le 27 octobre 1553, Calvin fait brûler vif Michel Servet. Le meurtre bouleverse Castellion. La rupture est désormais définitive, et Castellion ne va pas rester muet. En 1554 paraît à Bâle, sous un nom d’emprunt (Martin Bellie), une plaquette intitulée De hæreticis, an sint persequendi ? (« Faut-il persécuter les hérétiques ? »). Le texte se présente comme une sorte de florilège d’extraits tournés contre l’intolérance. On y trouve même des textes tirés de Luther, à côté de propos d’Erasme et de Martin Bellie, alias Castellion. Ce vibrant plaidoyer pour la liberté de conscience met implicitement en cause les donneurs de leçons et de châtiments corporels qui s’arrogent le droit de juger ce qu’ils n’ont pas à juger. La charge contre Calvin y est évidente. L’auteur y fait à chacun un devoir de « corriger sa vie, et non de condamner les autres ».
Théodore de Bèze, en fidèle lieutenant de Calvin, s’en prend à Castellion de façon très vive. Et Calvin lance l’anathème avec le sens de la nuance qui le caractérise : « Castellion est un monstre qui a autant de venin qu’il a d’audace. » Castellion relèvera le défi par un pamphlet au titre significatif : Contra libellum Calvini (« Contre le libelle de Calvin »). L’assassinat de Michel Servet y est condamné avec colère. Sur le plan théologique, Castellion est aussi hétérodoxe que sur le plan des pratiques de pouvoir. Il rejette une thèse centrale, celle de la prédestination. Les attaques fusent de toutes parts contre ce penseur qui décidément rejette toute doctrine rationnellement intenable à ses yeux. En 1562, il rédige et publie Conseil à la France désolée, où il plaide de nouveau pour la tolérance et contre les affrontements interreligieux. Son obstination soulève contre lui la haine des milieux protestants, et des membres de sa famille sont inquiétés pour avoir diffusé le texte. Castellion meurt peu après, accablé, le 29 décembre 1563.
Dictionnaire amoureux de la Laïcité