Commune de Paris (La)
Commune de Paris (La)
En 1869, lors des élections législatives, Gambetta se présente dans la première circonscription de la Seine et défend un programme électoral radical, dit « Programme de Belleville » qui inclut la séparation de l’Église et de l’État.
Au cours des élections à l’Assemblée nationale, en février 1871, les comités électoraux républicains, radicaux et socialistes révolutionnaires insèrent ce mot d’ordre populaire, mais il faudra attendre la Commune pour qu’un décret soit voté.
Le mouvement insurrectionnel de la Commune de Paris, appelé encore Révolution du 18 mars, ne dura que 72 jours. La Commune fut anéantie lors de la Semaine Sanglante (21 au 21 mai 1871). Premier pouvoir révolutionnaire prolétarien, la Commune de Paris, dans un court laps de temps, vota plusieurs décrets qui frappent par leur modernité.
Ainsi, parmi ses premières décisions, 34 ans avant la loi de décembre 1905, la Commune décrète, le 2 avril 1871, la séparation de l’Église et de l’État. Le texte est présenté par le citoyen Pyat au nom de la commission exécutive. Il est adopté à l’unanimité (parution au Journal Officiel le 3 avril). Ce décret s’ouvre sur quatre grands principes :
– le premier des principes de la République française est la liberté ;
– la liberté de conscience est la première des libertés ;
– le budget des cultes est contraire au principe, puisqu’il impose les citoyens contre leur propre foi ;
– le clergé a été le complice des crimes de la monarchie contre la liberté.
Suivent les quatre articles du décret :
– Article 1 : l’Église est séparée de l’État.
– Article 2 : Le budget des cultes est supprimé.
– Article 3 : Les biens dits de mainmorte, appartenant aux congrégations religieuses, sont déclarés propriétés nationales.
– Article 4 : Une enquête sera faite immédiatement sur ces biens, pour en constater la nature et les mettre à la disposition de la nation.
La critique à l’encontre du clergé est souvent virulente à cette époque et la politique des Communards a été parfois critiquée en raison des quelques excès d’un anticléricalisme grossier, mais l’exercice du culte n’est pas interdit par la Commune qui respecte la liberté de conscience. Les églises peuvent être, à la fois, des lieux de culte et de réunions politiques.
L’application du décret se heurte à divers obstacles, notamment à la notion de « biens communaux » concernant les édifices religieux.
Dans son ouvrage paru en 1871 « Étude sur le mouvement communaliste à Paris en 1871 », Gustave Lefrançais, élu dans le IVe arrondissement, répond à ses adversaires qui accusent la Commune de spolier les congrégations : « Quant à la reprise des biens de mainmorte et de tous les biens quelconques appartenant aux corporations (sic) religieuses, il suffit de remonter à la source originelle de ces biens pour comprendre que le décret ne faisait que restituer à la nation ce qui lui appartenait de droit et que détenaient indûment les corporations (sic) dépossédées ».
Les conservateurs ne peuvent admettre un tel décret. Il convient, cependant, de signaler une exception, le pasteur Edmond de Pressensé. Bien que profondément hostile à la Commune, Pressensé reconnaît le bien-fondé du décret du 2 avril 1871 dans son ouvrage « Les leçons du 18 mars » : « La séparation de l’Église et de l’État a beau avoir été proclamée par la Commune, elle n’en demeure pas moins le seul moyen efficace de rétablir la paix dans le monde de la pensée, d’assurer le droit des consciences, d’en finir avec les fictions religieuses, d’arracher de notre sol tout ce qui subsiste de la confusion du spirituel et du temporel… »
La séparation de l’Église et de l’État proclamé dans l’article 1, trouve un prolongement dans l’action de la Commission de l’Enseignement : le 23 mars 1871, un manifeste des sections parisiennes de l’Internationale réclamait déjà « une instruction laïque, gratuite et intégrale ».
De la séparation de l’Église et de l’État découle tout naturellement la laïcisation des écoles. Les délégués de la Société « L’Éducation nouvelle » ont remis le 1er avril une requête aux membres de la Commune. Ils demandent que l’instruction religieuse ou dogmatique soit laissée tout entière à l’initiative et à la direction des familles et qu’elle soit immédiatement et radicalement supprimée pour les deux sexes, dans toutes les écoles, dans tous les établissements dont les frais sont payés par l’impôt (JO du 2 avril 1871).
Le 8 avril, Rama, le délégué à l’instruction communale du XVIIe arrondissement, fait savoir que les instituteurs et les institutrices des écoles et salles d’asiles publiques de l’arrondissement sont invités à se conformer aux instructions suivantes : « (…) Considérant que les peuples les plus avancés et les philosophies de toutes les écoles ont les principes du bien, de la morale, lesquels se résument dans la justice, dans l’inviolabilité, le respect de la personne humaine, sans distinction de race, de nationalité, de croyance, de position sociale, de sexe ni d’âge, et que ces principes soient distincts de tout culte, de toute religion, de tout système philosophique (…) les instituteurs emploieront la méthode expérimentale ou scientifique, dégagée de tout principe religieux ou dogmatique (…) il ne sera enseigné ou pratiqué en commun ni prières, ni dogmes, ni rien de ce qui est réservé à la conscience individuelle.(..) Les écoles et les salles d’asiles ne contiendront, aux places exposées aux regards des élèves ou du public, aucun objet de culte, aucune image religieuse. »
La Commission de l’Enseignement, présidée par le délégué de la Commune à l’Enseignement, Édouard Vaillant, fait voter le décret instituant l’école laïque, gratuite et obligatoire, le 21 avril 1871, onze ans avant les lois de Jules Ferry. Les initiatives des Communards dans les quartiers trouvent ainsi leur validation par décret.
L’application de ce décret, comme le précédent, va rencontrer des difficultés auprès des congrégations religieuses.
La municipalité du III° arrondissement avertit ses administrés congréganistes que leurs trois écoles des rues Ferdinand Berthoud, Neuve Bourg-l’Abbé et de Béarn sont, à partir du 23 avril 1871, confiés à des instituteurs laïques.
Le 28 avril, une Commission d’organisation de l’Enseignement est instituée par Edouard Vaillant. Elle est composée des citoyens André, Da Costa père, Manier, Rama, Sanglier. Elle a pour objet :
d’organiser dans les plus brefs délais, l’enseignement primaire et professionnel sur un mode uniforme dans les divers arrondissements.
de hâter partout où elle n’est pas encore effectuée la transformation de l’enseignement religieux en enseignement laïc (JO du 29 avril 1871).
Au cours du mois d’avril, les frères et les sœurs des écoles chrétiennes du XIIe arrondissement ont abandonné leur poste. Un appel est fait à tous les instituteurs laïques pour que cet abandon soit comblé afin « d’inaugurer définitivement l’instruction laïque, gratuite et obligatoire ». Le 25 avril, Jules Allix, membre de la Commune et faisant fonction de maire du VIIIe arrondissement, s’adresse aux parents, aux amis de l’enseignement, aux enfants, pour leur exposer la situation dans l’arrondissement. Après avoir constaté que les écoles congréganistes ont suspendu leur engagement, il jette les bases de l’École nouvelle dont les cours seront publics afin que les parents et les professeurs puissent y assister à leur gré. La société « La Commune sociale de Paris » dont il est le fondateur, le secondera de ses lumières et de ses membres. Tous les enfants de trois à douze ans devront être, bon gré mal gré, scolarisés immédiatement. Les enfants de cinq à sept ans devront avoir assimilé la lecture, l’écriture, le calcul et l’orthographe. Il crée une école normale de gymnastique et souhaite en créer d’autres pour la musique et le dessin ; Jules Allix n’est peut-être pas aussi « toqué » qu’on veut bien le dire quand il avertit « que les instituteurs ne pourront sous aucun prétexte faire payer des fournitures aux élèves ». Dans le IVe arrondissement, les écoles sont exclusivement dirigées par des instituteurs et institutrices laïcs et la municipalité veille scrupuleusement, à l’aide de fréquentes inspections, à ce que tout enseignement religieux, sans exception, en soit complètement banni (JO du 12 mai 1871).
Quelques arrondissements ont négligé de procéder à la laïcisation et le 18 mai 1871, sur la proposition de la délégation à l’Enseignement, la Commune de Paris réagit : « Dans les 48 heures, un état sera dressé de tous les établissements d’enseignement tenus encore, malgré les ordres de la Commune, par des congréganistes. Les noms des membres de la Commune, délégués à la municipalité de l’arrondissement où les ordres de la Commune relatifs à l’établissement de l’enseignement exclusivement laïque, n’auront pas été exécutés, seront publiés chaque jour dans l’Officiel » (JO du 19 mai 1871).
La Commune entend laïciser non seulement l’enseignement, mais également d’autres services municipaux, tels que l’Assistance publique et les bureaux de bienfaisance. Camille Treillard, ancien proscrit de décembre 1851, est un bon gestionnaire de cette importante administration. Certes, il ne peut, du jour au lendemain, remplacer les infirmières religieuses par des infirmières laïques mais il prend des mesures pour humaniser les hôpitaux et assurer leur salubrité. Il réorganise les bureaux de bienfaisance en leur donnant une direction exclusivement laïque.
Les auteurs du décret du 2 avril 1871 sont les hardis précurseurs des Républicains qui votèrent la loi du 7 juillet 1904 supprimant l’enseignement congréganiste et la loi du 9 décembre 1905 instaurant la séparation des Églises et de l’État.
Le principe de laïcité, rejeté par le régime conservateur répressif après l’écrasement du mouvement insurrectionnel, trouve sa source dans l’action de la Révolution du 18 mars. Il apparaît clairement que la Commune de Paris a constitué le premier gouvernement laïque du monde.
Claudine Cerf. Dictionnaire de la Laïcité (2°édition)
Marcel Cerf, La Commune et la séparation de l’Église et de l’État, revue La Commune, no 26, 2005, Publication de l’Association des Amis de la Commune de Paris-1871.